Instantané N° 45 avril 2008

Countines

A un moment ou un autre, un tissu doit cesser de croître. Les proportions de tout être vivant sont prédéfinies pour une raison bien déterminée – et non simplement dans un but esthétique. Si le cerveau ne s’arrêtait pas de grandir, nos têtes s’alourdiraient et dodelineraient désespérément, nous rendant la vie quelque peu compliquée. Il en va de même pour une moisissure, le champignon Dictyostelium discoideum.

D. discoideum est un être unicellulaire qui se nourrit de bactéries du sol. Lorsque son environnement s’appauvrit, la moisissure se met en mode "famine" et s’agrège à d’autres cellules de D. discoideum pour former un fruit ou plus exactement un organe reproducteur qui ressemble à un ballon suspendu au bout d’une ficelle – à savoir une tige fine avec, à sa pointe, un "sac" de spores. La longueur de la tige a toute son importance. En effet, plus elle est allongée, plus les spores prennent de la hauteur et plus grande sera leur chance d’être généreusement dispersés. La taille du "sac" de spores a aussi son importance – il ne doit pas être trop volumineux, faute de quoi, la tige se pliera sous son poids et la dissémination des spores perdra en efficacité.

Qui décide des proportions du fruit de D.discoideum – son organe reproducteur ? Qui compte les cellules et limite leur nombre ? Lorsque la moisissure se trouve dans une situation précaire, les cellules s’agrègent pour ensuite se diviser en plusieurs entités qui deviendront, chacune, un fruit. Si la division n’a pas lieu, un fruit géant se développera. Des protéines connues sous le nom de countines (de "count" signifiant "compter" en anglais) sont impliquées dans cette division en entités plus petites. Typiquement, sous l’influence des countines, un fruit compte environ 10 000 cellules qui vont se différencier en une tige et de multiples spores.

Les countines sont secrétées hors des cellules et ont la capacité de régler l’adhésion cellulaire – et de définir ainsi les limites de croissance. Leur activité est basée sur un mensonge… En effet, flottant entre les cellules, les countines leur font croire qu’elles sont en contact avec de nombreuses autres cellules. Par conséquent, l’adhésion cellulaire est freinée et la taille du fruit contrôlée. Les countines agissent probablement sous la forme de complexes assemblant plusieurs protéines. Les complexes se lient d’une manière ou d’une autre à un récepteur sur la surface cellulaire. Comment précisément ? Le temps nous le révèlera. En attendant, nous pouvons méditer sur le fait que nos proportions sont peut-être le fruit d’une "comptine" moléculaire.

  • Countin-1, Dictyostelium discoideum (moissisure) : Q86IV5
  • Countin-2, Dictyostelium discoideum (moissisure) : Q8WSR7