Instantané N° 14 septembre 2005
Cry
Bien que coccinelles et papillons virevoltent harmonieusement sur les roses du jardin, leurs larves sont loin d’être les bienvenues sur de nombreuses cultures agricoles, qu’elles infestent et endommagent. Une manière de s’en débarrasser est de leur présenter Bacillus thuringiensis. Cette bactérie insecticide est redoutable puisque, après ingestion, elle sera la source de désagréments fatals. C’est pour cette raison-même que Bacillus thuringiensis, ou Bt, est employé depuis des décennies par des agriculteurs du monde entier.
Il existe diverses variétés de Bt qui, chacune, tuent différents insectes comme, par exemple, des papillons, des phalènes, des mouches, des coléoptères ou encore des moustiques. Bt fut découvert au tout début du XXe siècle par un biologiste japonais – Shigetane Ishiwatari – qui recherchait la cause de la décimation des grandes populations de vers à soie. Une décennie plus tard, le scientifique allemand Ernst Berliner isola et baptisa la bactérie Bacillus thuringiensis, du nom de Thuringia, ville allemande où la bactérie s’en était prise à un papillon, la pyrale de la farine.
Les propriétés insecticides de Bt sont dues aux effets d’une protéine. Il s’agit d’une endotoxine qui perméabilise la paroi intestinale par perforation, entraînant à terme la mort de l’insecte. Une autre caractéristique surprenante de ces toxines, et pour le moins inattendue dans le monde vivant, est qu’elles sont stockées sous forme de cristaux et ce juste avant que la bactérie se reproduise en libérant des spores. C’est pour cette raison que l’on leur donne le nom de protéines cry. Chaque type d’endotoxines se cristallise de manière différente et aujourd’hui les scientifiques savent distinguer ces insecticides selon la forme de leur cristal.
Une fois ingérés par les larves, les cristaux sont solubilisés et coupés par une protéase de l’intestin. Est ainsi produite la toxine active: la delta-endotoxine. Ces dernières forment des pores dans l’épithélium, ce qui modifie le pH de l’environnement intestinal en faveur de la prolifération des bactéries. Le résultat est une septicémie générale.
Actuellement, une centaine d’endotoxines différentes ont été répertoriées. Un type de Bt peut produire plusieurs types d’endotoxine et ainsi être fatal à différents insectes. En effet, les gènes de l’endotoxine se trouvent dans des petites molécules d’ADN annexes qui peuvent migrer d’une bactérie à l’autre. Par conséquent, un brassage permanent d’endotoxines s’opère naturellement et confère aux bactéries de nouvelles propriétés.
Bacillus thuringiensis est commercialisé depuis les années 30 – sous la forme d’un mélange de spores séchées et de cristaux de toxines. Son utilisation s’est accrue dans les années 80 lorsqu’on s’est aperçu que les insectes devenaient résistants aux insecticides synthétiques, préjudiciables par ailleurs à l’environnement. Or Bt est un organisme qui n’affecte que des insectes spécifiques. Avec l’explosion des biotechnologies, on sut bientôt intégrer des gènes d’endotoxines de Bt spécifiques dans les génomes de plantes, créant ainsi des cultures génétiquement modifiées – les ‘cultures Bt’ qui comprennent aujourd’hui les ‘Bt maïs’, les ‘Bt pomme de terre’, les ‘Bt coton’ et les ‘Bt soja’.
L’avantage de cette technique est que les fermiers n’ont plus besoin de procéder à des pulvérisations sur leurs cultures. De plus, seuls les insectes qui endommagent les plantes sont affectés, y compris ceux qui rongent les racines. Les humains, comme tous les autres mammifères, ne sont pas menacés puisque les endotoxines sont inoffensives au pH physiologique de leurs intestins, qui de surcroît sont dépourvus de récepteurs. En revanche, les insectes visés sont constamment exposés aux endotoxines et, avec le temps, peuvent développer des résistances…