Dossier n°25, décembre 2008
Du secret des tiques
par Séverine Altairac
Répugnantes et porteuses de pathogènes, les tiques sont bien souvent la hantise des amoureux de la forêt. L'hiver offre cependant une trêve dans la chasse à ces petites bêtes au ventre goulu. Alors que nous, nous nous réfugions sous une couette moelleuse ou nous pressons autour d'un thé fumant, les tiques recherchent la chaleur en s'enfouissant dans les profondeurs du sol. La douceur printanière les invite quelques mois plus tard à reconquérir les hauteurs du sous-bois. Là, avides de sang, elles guettent patiemment un promeneur auquel s'agripper. Et une fois solidement amarrées dans sa peau, elles y déversent un arsenal de molécules et de protéines afin de satisfaire leur appétit vorace. [PDF] [english]
Promenons-nous dans les bois...
Les tiques ne sont pas des insectes. Munies de huit pattes, elles appartiennent à la même famille que les araignées - les arachnides - dont, fait amusant, on recherche tout aussi peu la compagnie. Alors que les araignées investissent des habitats très variés, les tiques élisent domicile dans les forêts. En Suisse, on peut les trouver toute l'année, bien qu'exceptionnellement en hiver, et dans tout le pays jusqu'à 1500 mètres d'altitude. Contrairement aux idées reçues, les tiques ne tombent pas des arbres ! Elles affectionnent tout particulièrement la lisière des forêts et les sous-bois où elles se hissent sur les herbes hautes et les buissons. Et du haut de leur demeure, elles attendent passivement qu'un oiseau, un hérisson, un chevreuil, un chien ou bien un être humain les frôlent fortuitement pour s'y agripper et s'y repaître de leur sang.
... tant qu'la tique n'y est pas
Fig.1 Tique Ixodes ricinus. La croissance de la tique se déroule en trois étapes successives : la larve puis la nymphe et finalement l'adulte.
Cet instant délectable pour les tiques peut l'être infiniment moins pour son hôte de passage. C'est en effet au moment de leur repas qu'elles risquent de nous transmettre des bactéries et des virus pouvant menacer notre santé. Parmi les 800 espèces de tiques vivant sur Terre, Ixodes ricinus est celle qui inquiète en Europe. Pourquoi ? Elle véhicule deux pathogènes particulièrement redoutés : la bactérie Borrelia burgdorferi et un virus du genre Flavivirus.
Au premier on doit la borréliose de Lyme. 2'000 à 3'000 personnes sont infectées chaque année en Suisse par la bactérie. La maladie commence par une inflammation cutanée autour de la piqûre accompagnée de symptômes grippaux puis atteint les articulations, le système nerveux et plus rarement le cœur. Quant au second, il est responsable de l'encéphalite à tiques qui se manifeste initialement par des signes grippaux et qui peut entrainer une inflammation des méninges ou d'une autre partie du cerveau. En Suisse, les rares tiques porteuses de ce virus se concentrent principalement dans les cantons du nord du pays, d'où un nombre de cas d'encéphalites réduit par rapport à la borréliose de Lyme - environ 250 par an.
Si la maladie de Lyme peut être enrayée par des antibiotiques, on peut échapper à l'encéphalite à tiques en se faisant vacciner. Mieux vaut prévoir que guérir. L'Office fédéral de la santé publique abonde dans se sens et recommande la vaccination pendant l'hiver à tout promeneur, cueilleur de champignons, sportif, forestier ou bûcheron vivant dans les cantons exposés, afin qu'il soit protégé dès le début de la saison des tiques - soit en avril.
Un parasite bien discret
Aussi efficace soit-il, le vaccin contre l'encéphalite à tiques n'empêche pas la tique de s'accrocher et de cracher autres virus et bactéries dans son hôte. Et plus longtemps elle restera accrochée, plus grand deviendra le risque de transmission. Comment s'en protéger ? C'est là que le bât blesse. A ce jour aucun vaccin anti-tique n'existe bien que des chercheurs se soient engouffrés dans la brèche depuis quelques années déjà. La meilleure protection reste de n'offrir aux tiques aucune chance de s'agripper. Comment? Au retour d'une excursion en forêt, inspecter les vêtements et les différentes parties du corps est faire acte de prudence. Petite et légère, la tique se faufile sous les vêtements et aime se loger là où la peau est la plus douce et la plus fine - comme dans les replis de l'aine ou du cou et dans le creux des genoux. Ici à l'abri des regards indiscrets la tique s'installe et plante ses 'crocs' dans la chair. Elle reste ainsi dissimulée jusqu'à plus faim ni soif.
Si elle ne boit pas de sang, la tique ne peut poursuivre et achever sa croissance (fig.1). C'est un parasite qui, comme tous les parasites, se sert à volonté et selon ses besoins. Précisément, la tique recherche un hôte à chaque étape de sa croissance. Plus elle grandit, plus son repas se prolonge. Elle peut aspirer le sang de son hôte ainsi de deux à dix jours. Une fois repue et métamorphosée en petite sphère - son poids peut augmenter jusqu'au centuple ! - elle se laisse choir sur le sol. Tranquillement elle va digérer son festin puis muer ou, s'il s'agit s'une femelle, pondre des milliers d'œufs (fig.2).
Fig.2 Cycle de vie des tiques. L'exemple des durées de repas de sang indiquées concerne la tique Ixodes ricinus.
L'art de paraître invisible
Si une tique échappe à notre vigilance, elle achèvera son repas et se détachera aussi discrètement qu'elle s'est installée. La cohabitation avec le parasite peut en effet passer totalement inaperçue. Etonnant ! Contrairement à des piqûres d'insectes, la morsure d'une tique ne déclenche aucune inflammation ou démangeaison de la peau. Et c'est pourtant bien en nous grattant que l'on peut espérer déloger le visiteur indésirable. Notre système immunitaire ne semble pourtant pas détecter sa présence, comme si la tique paraissait invisible. Pourquoi ne réagit-il pas et ne chasse-t-il pas cette opportuniste ? La réponse se trouve dans la salive du parasite. Pour aspirer le sang, la tique doit perforer la peau de son hôte et y introduire une sorte de tube hérissé d'épines - c'est le rostre (fig.3). Par cet organe s'écoule un cocktail chimique aux effets singulièrement puissants. Il se compose d'au moins trois cents molécules. Parmi elles, on peut compter des analgésiques qui éteignent la douleur au moment de la morsure, des anticoagulants qui fluidifient le sang et, encore plus surprenant, des protéines anti-inflammatoires qui désamorcent la réaction immunitaire.
Fig.3 "Bouche" de la tique Ixodes ricinus. Le sang est aspiré par le rostre, un tube hérissé d'épines. Il est entouré d'une paire de couteaux qui dilacèrent la peau au moment de l'ancrage de la tique.
Des chercheurs ont récemment découvert une nouvelle famille de protéines qu'ils ont nommées les évasines et qui semblent justement interférer avec le système immunitaire. Comment ? Suite à la morsure de la tique, les cellules de la peau émettent un signal d'alerte sous la forme de petites protéines appelées les chimiokines. Ces dernières 'appellent' et attirent sur le site assiégé les cellules immunitaires dont la mission sera de débarrasser l'organisme de l'intrus. Les évasines inoculées par la tique vont tout simplement intercepter ce signal d'alarme. Précisément, elles se fixent sur les chimiokines et les neutralisent. Désormais 'muselées', les chimiokines ne pourront plus être reconnues par les cellules de défense de l'organisme. Par conséquent, l'initiation de la réaction immunitaire échoue.
Les évasines ne désarment pas seulement le système immunitaire mais également les chercheurs. Elles ne ressemblent en effet à aucune autre protéine connue à ce jour bien que d'autres protéines aux vertus anti-inflammatoires fabriquées par des virus et des parasites aient été décrites. Les scientifiques ont néanmoins pu établir que les évasines sont de petite taille et qu'elles reconnaissent certaines chimiokines de manière très spécifique. Elles ont également la particularité de porter à leur surface de nombreuses molécules de sucres. Loin d'être un simple ornement, ces sucres trompent la garde du système immunitaire. Plus exactement l'enveloppe sucrée dissimule certaines régions des protéines, qui normalement trahissent la présence d'un intrus dans l'organisme et alertent le système immunitaire. Finalement, les évasines seraient doublement anti-inflammatoires : non seulement elles bloquent la réaction immunitaire de l'hôte mais de surcroît elles le duperaient.
Détourner les évasines
Tempérer la réaction immunitaire intéresse vivement la recherche médicale. De nombreuses maladies inflammatoires affectant les voies respiratoires ou la peau - telles que l'asthme ou des allergies - ainsi que des pathologies auto-immunes comme l'arthrite sont associées à un emballement du système immunitaire. Des substances qui pourraient atténuer la réaction immunitaire et par conséquent calmer l'inflammation font ainsi l'objet de nombreuses études. Il y a quelques années, la tique avait livré une première protéine anti-inflammatoire qui avait enflammé l'espoir des chercheurs sans toutefois tenir ses promesses. La découverte des évasines pourrait à nouveau inspirer les scientifiques pour la création d'un nouvel agent anti-inflammatoire à la fois puissant et bien toléré par notre organisme.
La muse de la science
La Nature est une source d'inspiration intarissable. Les tiques ne sont pas les premiers parasites buveurs de sang chez qui l'on découvre des substances extrêmement efficaces et que la médecine envie. Il faut dire que ces animaux ont disposé de plusieurs millions d'années - les tiques sont apparues bien avant les dinosaures ! - pour affiner leurs atouts chimiques et parvenir à leurs fins. Aux côtés des anti-inflammatoires très convoités, les buveurs de sang ont élaboré de puissants anticoagulants. La sangsue, le premier parasite à avoir servi la médecine, est utilisée aujourd'hui en microchirurgie pour éviter la formation de caillots ainsi que pour drainer le sang. Certaines protéines anticoagulantes provenant d'un autre parasite sont à l'étude pour le traitement d'accidents cardiaques ou vasculaires cérébraux. Il s'agit de la chauve-souris vampire dont les propriétés singulières de sa salive ont été soupçonnées dans les années 1930... Est-ce par fascination du célèbre Conte Dracula dont l'histoire - écrite à la fin du 19ème siècle - avait déjà inspiré plus d'un cinéaste et nourri les fantasmes de milliers de lecteurs ? Mais que notre imaginaire se raisonne. Il paraît que les chauves-souris vampires ne s'en prennent qu'au bétail et non aux êtres humains. Et... si les tiques avaient les dents plus longues... ?